La vie, déjà, avait retiré ses couleurs de ton visage, pour n’y laisser que le gris opalin de la mort qui s’approche. Mais tu étais bien là, sur ce lit. Affaiblie. Mais lucide. Tu as souri en me voyant au milieu des autres, de tous ceux qui étaient venus adoucir tes dernières heures d’un peu de musique. J’ai souri, courageusement. J’ai chanté, de mon mieux, tes chansons préférées. Puis tous sont partis et tu as agrippé mes mains, mes bras : “Reste ! Ne t’en vas pas.”
Je suis restée. J’ai posé ma tête près de la tienne, sur l’oreiller. J’ai pris ta main. Tu avais des choses à me dire. De ces choses qu’on ne dit pas tous les jours, parce que l’habitude, parce que la pudeur. Mais que vaut encore la pudeur, au jour de se quitter pour toujours ?
Nous avons parlé. Nous avons pleuré. Tu as dit “Je ne pensais pas m’en aller aussi vite, ni aussi tôt.” J’ai répondu “Moi non plus.” Nous avons regardé des photos. Nous avons ri. Nous avons joué les anciennes combattantes -“Tu te souviens le jour où…”. Tu m’as rappelé notre première rencontre, assise à tes côtés, déjà… j’avais oublié.
De mes partitions, j’ai sorti et posé sur tes genoux celle de ta chanson préférée, celle que nous avions travaillée, aimée, chantée ensemble, du temps où nous nous maquillions côte à côte, avant de monter sur scène ; l’année dernière encore. Je l’ai rechantée, juste moi, juste pour toi, tout doucement, à ton oreille. Et tu m’as accompagnée en fredonnant, du tout petit filet de ta voix cassée. Ta voix…
Tu m’as dit : “Tu voudrais la rechanter à mes obsèques, celle-là ?” “Oui.” “Tu promets ?” J’ai promis.
Et puis j’ai dû m’en aller. Ma joue posée contre la tienne, que dire ? J’ai dit “Je t’aime”. Je n’ai pas osé dire que quoi qu’il arrive, tu serais toujours dans mon cœur, par peur de m’effondrer… Pas devant toi ; les couloirs sont faits pour ça. J’ai promis de revenir bien vite. Sur la table de nuit, j’ai laissé ma partition, “Cadeau, au cas où tu voudrais te faire une petite répétition”.
Je n’ai pas eu le temps de revenir. Tu t’es envolée le lendemain, presque calmement, la main dans celle de ta fille jusqu’à ton dernier souffle. Et j’ai chanté, j’ai tenu ma promesse, tu vois, je l’ai chanté, notre beau batelier. Nos voix ont tourné dans la grande église et j’espère bien qu’elles ont su monter jusqu’à toi.
Au milieu des fleurs, j’ai fait la connaissance de tes filles. Elles m’ont ouvert les bras en m’appelant “Notre quatrième sœur”. Elles ont dit “On a tellement entendu parler de toi.” Elles sont à ton image : jolies, douces et généreuses. Et j’ai appris qu’entre autres présents à l’éternité, ma partition était partie avec toi.
J’espère que depuis les étoiles, tu continues à chanter et que tu veilles un peu sur moi ; j’ai bien besoin, certains jours, d’un ange gardien.
Paul Ladmirault, “Le batelier” (Tiré des “Chanson écossaises”, interprétées par l’ensemble vocal Mélisme(s), dirigé par Gildas Pungier, éditions Skarbo, 2008)
Philomenne, je suis de tout cœur avec vous ! Ce sont toujours les meilleur(e)s qui s’en vont les premiers, et nous, nous restons, avec nos pleurs, nos souvenirs, elles et ils continuent de vivre par nos pensées !
Merci Philo de ce beau témoignage. Il me touche d’autant plus, que j’ai perdu mon père en mars de cette année, 94 ans, un père comme on rêverait d’avoir pour tout le monde. L’an passé il faisait encore son jardin et il était toujours en pleine possession de ses moyens jusqu’au bout.
Merci encore!!
Bel article ! Courage à tous !
Philomène, j’ai les larmes au bord des yeux, je te souhaite beaucoup de courage.
J’ai moi même envoyé un ami de 53 ans à l’hôpital, il y a pas un mois pour y finir sa vie, malgré sa demande de mourir chez lui avec ses amis et animaux, mais sa souffrance et son état de santé m’ont trop bouleversé. Mon fils de 12 ans a voulu absolument le voir à l’hôpital. IL était endormi, il lui a quand même dit au revoir avec ses mots. J’en suis encore bouleversé…
On a fait de notre mieux et il est parti 3 jours après. Je l’imagine sur son traineau à encourager ses chiens dans les montées ou sur ses skis à l’aurore là haut.
Merci pour tes mots et encore beaucoup de courage !
Magnifique témoignage à celle qui est partie…
Chère Philomenne. Etant infirmière, je suis confrontée régulièrement au départ d’êtres que j’apprends à connaitre et aimer au fils des jours de soins et c’est toujours difficile.
Merci pour votre beau partage.