J’ai enfin1 pu voir Tous au Larzac, le film documentaire de Christian Rouaud. Le Larzac, dix ans de lutte racontée par quelques uns de ses acteurs. Ils sont là, simplement faces à la caméra, ils racontent. De temps en temps, un extrait de document d’époque ponctue et illustre leur propos, donne la parole à ceux qui s’en sont allés, notamment Guy Tarlier, très actif à l’époque et décédé en 1992. Depuis les paroles méprisantes de Michel Debré décrivant une poignée de paysans isolés “vivant comme au Moyen-Age” (sic !) jusqu’à l’élection de François Mitterrand qui mit fin au projet d’extension, le film retrace la lutte dans sa chronologie.
Je ne vais pas décrire ce film, j’ai juste envie de dire “courez-y, si vous ne l’avez pas encore vu”. Tout d’abord parce que vous passerez un bon moment. Ces paysans-là ne manquent pas d’humour… au moment où ils s’aperçoivent, par exemple, qu’une brebis est une “arme” parce que les CRS ne savent pas la manipuler. Aussi parce qu’ils n’ont manqué ni de courage ni de ténacité pour garder leurs terres et qu’ils ont lutté pendant dix ans pour cela. Dix ans. Dix ans à s’accrocher et à se battre, cela a été long, assurément. Et parce que l’émotion est encore là, par moments, quand on évoque l’explosion de la maison de la famille Guiraud ou l’entrée dans Paris, à pieds et sans slogan, dans un silence seulement rythmé par le bruit des bâtons de marche.
Je connaissais déjà la lutte contre le camp militaire du Larzac parce que j’avais lu l’histoire de Jeanne Jonquet dans le livre d’Yves Garric et que cette lecture m’avait donné envie de poursuivre. (Sur le site de l’INA, il y a des vidéos assez nombreuses sur le sujet). Le documentaire de Christian Rouaud donne, en plus, une vue d’ensemble du déroulement des évènements, des acteurs présents, des enjeux de l’époque… mais avec le recul d’aujourd’hui, trente ans après la fin. Il montre aussi le ralliement exceptionnel de dizaines de milliers de personnes, les comités qui se sont créés un peu partout, le dynamisme et l’inventivité des participants.
Et il est intéressant à bien des égards de se pencher sur cette lutte, aujourd’hui. Pour se rappeler que les paysans du Larzac et ceux qui les ont rejoints ont dès le début fait le choix de la lutte non violente et qu’ils s’y sont tenus. C’est l’occasion de découvrir le message de Lanza Del Vasto, fondateur des communautés de l’Arche : “La non violence, c’est la conversion de la colère“.
Pour renouer avec la terre et avec ce qu’elle représente. Les 103 ont fait le serment de ne pas vendre, quel que soit le prix proposé. Parce que ce n’était pas l’argent, le plus important, mais la terre sur laquelle ils vivaient et travaillaient. Pour se souvenir que les personnes qui se sont ralliées massivement au fil des années étaient toutes différentes en termes d’origines, de culture, de convictions politiques… et qu’elles sont arrivées à travailler ensemble malgré tout. Pour apprendre que cette lutte a eu des prolongements. C’est dans la lutte du Larzac que l’altermondialisme a pris sa source.
Enfin et surtout, pour voir que rien n’est jamais joué d’avance. A tous ceux qui disent que ce n’est pas la peine de résister, que lutter ne sert à rien (en ce moment au sujet des gaz de schiste, par exemple) : sur la Larzac, des paysans ont résisté à l’Etat et à l’armée. Ils n’auraient pas dû gagner. Et pourtant, ils l’ont fait.
Tous au Larzac : La bande-annonce
1) “Enfin”, parce qu’il a fallu attendre assez longtemps pour qu’il passe près de chez moi et que je trépignais.