Ma ville en transition (feuilleton) intermède : J’irai pas !

logo-transition(Suite de ce billet )

 

 Notre commune est en pleine mutation. Très prochainement, ouvrira sur le territoire de ce bourg de 2 500 habitants une troisième zone industrielle et commerciale, nantie, entre autres, d’un hypermarché monumental. Placé en hauteur à la périphérie, celui-ci surplombe et domine déjà la commune. Tout cela manquait, c’est vital, il est vrai ! Pendant ce temps, le centre continue à se désertifier. Les commerçants quittent leurs boutiques de ville pour se réinstaller dans la galerie commerciale de l’hypermarché. Et de plus en plus, les vitrines vides succèdent aux maisons à vendre. Mesure prise par la municipalité pour remédier à ce paysage consternant : interdire d’afficher des panneaux “à vendre”. Cassons donc gaiement le thermomètre.

220px-DonutNotre commune est sur la mauvaise pente, menacée de devenir une sorte de donut : une couronne d’activités et d’habitations et rien au milieu. Le centre médiéval sera bientôt une coquille vide, rénové en surface mais inhabité, maisons en voie de décomposition intérieure avec façades mignonnes, décor de théâtre sans âme à destination de touristes peu exigeants. Mais la vie de la commune, le sort des habitants, cette ambiance si particulière qui faisait son charme et qui est en voie de disparition, qui cela préoccupe-t-il ? Le centre se meurt et avec lui, la cohésion de la commune, son équilibre.

A la rentrée dernière, une étude pilote a été menée sur la désertification du centre et pour ce faire, entre autres, trois réunions de concertation ont été organisées avec des acteurs de la
commune considérés comme déterminants. J’en faisais partie en tant que présidente de notre association de transition. Je ne me suis pas privée de dire ce que j’avais à dire et j’ai pu voir que la politique de la ville qui préside à son lent délitement faisait pratiquement l’unanimité contre elle. Mais dans les faits, ces réunions (dont nous n’avons d’ailleurs même pas eu de compte-rendu) nous ont surtout permis de voir quelle était l’ampleur du désastre et de l’imposture. D’une part, nous demander notre avis était un bon prétexte pour pouvoir ensuite nous imposer de la boucler : après tout on vous a consultés, que voulez-vous de plus ? D’autre part et surtout, l’opinion des élus est déjà faite. Puisque le centre bourg se meurt, puisqu’il ne s’y passe presque plus rien en dehors des touristes qui y prennent des photos, décrétons que le centre, à présent, est ailleurs. Oui, nous avons conduit une politique stupide et au coup par coup, sans réflexion globale, sans prise de recul et sans autre motivation que l’intérêt à court terme mais buvons fièrement le calice jusqu’à la lie et prononçons l’arrêt de mort de notre centre ville. Déplaçons-le. En oubliant au passage qu’en matière d’urbanisme, le “centre ville” ne se décrète pas, jamais, ça ne fonctionne pas. Le centre se vit, nait de lui-même autour d’une place, d’un monument, d’un ensemble d’activités ; le centre est ce que les habitants reconnaissent comme étant le centre, pas un projet municipal. C’est une affaire de représentations, pas de budget.

Notre ville est sur la mauvaise pente avec cette gangrène au milieu d’elle et le maire est fier de lui. Cette zone commerciale qui finit actuellement d’aspirer le peu de vie restant au centre, c’est son bébé. Installée très en dehors de la ville et de l’autre côté de la voie rapide, elle place le supermarché et un certain nombre de commerces très hors de portée de la partie la plus âgée de la population et pour tous, elle est pratiquement inaccessible sans voiture1. Cette zone est un hymne à la sacro-sainte bagnole ; à l’heure où nous passons le pic pétrolier, je suis éblouie par tant de clairvoyance ! Accessoirement, elle se trouve juste à côté du futur “éco-lotissement”, constructions HQE dans lequel il sera interdit de… cultiver un potager (ce n’est pas un gag !). Le maire est fier de lui, parce qu’on crée des emplois. Des emplois ? Voire. Les entreprises qui vont s’y installer ne font que déménager. Création = 0. L’hypermarché est un déménagement d’un des deux supermarchés déjà présents dans la commune. Création = une dizaine d’emplois du fait de l’agrandissement, pas plus. Le deuxième supermarché, qui lui ne grandit pas dans l’histoire, est menacé de fermeture par la concurrence écrasante de ce truc surdimensionné. Disparition = 27, épée au dessus de la tête à l’heure où j’écris mais on espère un repreneur. Bénéfice net si les prévisions pessimistes se concrétisent ? Négatif.

Et en termes d’aménagement du territoire, cette “zone d’activités”, comme on dit, c’est plus de onze hectares de terres agricoles confisquées à la production, au profit du béton.

Et pourtant, et pourtant… tout cela va ouvrir bientôt avec rubans tricolores et champagne. Alors, Monsieur le Maire, je vous le dis tranquillement, cette zone que vous avez voulue à toute force contre l’avis de la majorité de vos administrés, cette zone dont vous êtes fier contre tout bon sens, cette zone, j’espère qu’elle sera déficitaire, oui. Parce que je n’adhère pas au discours qui dit que “maintenant qu’elle est là, autant s’en servir”, j’espère un échec retentissant qui dissuadera à l’avenir d’autres projets aussi stupides. Et quand elle sera aussi déserte que notre centre, j’espère que la terre sera rendue aux paysans qui sauront en faire un bien meilleur usage. Et puisqu’il ne me reste que cela, pour contribuer à ce fiasco que j’appelle de mes vœux, votre putain de zone machin-truc… j’irai pas !

à suivre…

Le premier billet de la série se trouve .

Photo de donut empruntée à Wikipédia

  1) On a bien prévu un “chemin piétonnier” mais pour parcourir toute cette distance avec ses courses en passant sous la voie rapide, il faudra avoir la foi écologique chevillée au corps ou… vraiment pas le choix.

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7 comments for “Ma ville en transition (feuilleton) intermède : J’irai pas !

  1. dorigord
    21 octobre 2012 at 20 h 36 min

    Je comprends que tu sois déçue, car c’est tout à l’opposé de ce que vous aviez essayé d’initier. Cet après-midi, je suis allée dans un petit village de Dodogne, Bourrou, où il y avait “le grand inventaire de tous les possibles”. Je te mets le lien pour voir de quoi il retourne :

    http://www.perigueux-city.com/le-grand-inventaire-des-possibles-a-bourrou.html#21-ooctobre-%C3%A0-bourrou

    nous avons eu une intervention d’un groupe qui essaie de mettre en place “une ville en transition” celle de Lalinde, du sud de la Dordogne. Je lui ai donné ton adresse de blog, ils risquent de te contacter. Le départ a l’air de bien fonctionner, il y a pas mal de gens motivés sur un rayon de 15 km autour de Lalinde.

    Ne désespère pas trop. Le maire risque de s’en mordre les doigts (mais peut-être un peu tard après avoir ruiné les finances de la commune!!!)

    • Philomenne
      21 octobre 2012 at 23 h 00 min

      A vrai dire, je ne suis pas tellement “déçue” (de toute façon, ce projet a été initié bien avant le nôtre) mais carrément très en colère. Tant d’argent gaspillé, tant de bêtise, je t’assure, ça me met hors de moi.

      Merci pour le lien.

  2. JCC
    21 octobre 2012 at 22 h 25 min

    Les élus locaux sont des milliers à vouloir laisser leur crotte incohérente dans le paysage avant de disparaitre…

    • Philomenne
      21 octobre 2012 at 22 h 30 min

      Oui, et c’est précisément ce qu’on leur reproche.

      • JCC
        21 octobre 2012 at 22 h 40 min

        Beaucoup ne savent pas ce qu’il font et on leur laisse gérer l’aménagement du territoire. On ne parle même pas de la collusion avec les propriétaires

  3. Ludivine
    22 octobre 2012 at 15 h 26 min

    On dirait que ton maire est le jumeau du mien et je crois qu’ils sont nombreux comme ça en France, hélas.

    Nous avons également plusieurs zones artisanales, industrielles dont beaucoup de locaux sont vides.

    Chacun veut laisser sa “marque” même si elle fait polémique.

  4. Panthera Pardhus
    22 octobre 2012 at 17 h 20 min

    Bien envoyé Philomenne. Décidement, c’est une manie chez les humains de poser son kk et de sauter dedans à pieds joints pour en mettre partout, bien bien comme il faut.

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