Beaucoup de sujets graves et/ou de râleries1, ces derniers temps ; soyons pour une fois un petit peu plus légers
Juste pour le plaisir, j’ai envie de parler d’une race de vaches dont il reste malheureusement peu d’individus, une race dite à “petit effectif” ou “en conservation”, en d’autres termes, une race qui a le feu aux fesses et risque de disparaitre si l’on n’y prend pas garde : la Villard de Lans, souvent appelée Villarde par ses intimes.
La Villarde tire son nom de la commune de Villard de Lans, située dans les Alpes, sur le plateau du Vercors qui est le berceau de la race. C’est une vache blonde, pas très grande mais massive, plutôt docile de caractère, rustique, facile à vivre. C’est une race mixte, c’est-à-dire qu’elle peut être élevée pour produire indifféremment de la viande ou du lait. Historiquement, elle était aussi très utilisée pour la traction animale. Elle produit une viande persillée et goûteuse, un lait riche en protéines et en matière grasse2, bien adapté à la transformation fromagère.
Elle a connu son heure de gloire au dix-neuvième siècle et dans la première moitié du vingtième, grâce à sa polyvalence, à sa robustesse, au fait qu’elle soit bien adaptée au milieu montagnard et à sa docilité. A la fin des années 1930, le cheptel compte environ 15 000 têtes.
Malheureusement, à partir de la deuxième guerre mondiale, plusieurs facteurs se sont conjugués pour provoquer son déclin. L’occupation allemande, en premier lieu, a donné lieu à des saisies massives sur ces animaux, tant pour la nourriture de l’occupant qu’en représailles, puisque le Vercors abritait de nombreux résistants. On estime ainsi à 2 700 le nombre d’animaux confisqués
directement, sans compter ceux que les éleveurs n’ont pas pu garder parce qu’ils n’avaient plus les moyens de les nourrir, en raison de la destruction de certaines récoltes. Par la suite, l’arrivée des tracteurs a progressivement détrôné la vache pour la traction des outils. La prophylaxie de la brucellose a également éliminé de nombreux animaux par l’abattage des individus malades. Enfin, dans un contexte de spécialisation des élevages, l’arrivée massive de la Montbéliarde, pour la production laitière, et de la Charolaise, pour la viande, a détourné les éleveurs de cette race : en tant que vache mixte, la Villarde produit moins de lait qu’une laitière et moins de viande qu’une allaitante. Cerise sur le gâteau, à cette période, elle a fait l’objet d’un certain désintérêt. Au début des années 1970, il ne reste que quelques dizaines d’animaux, les carottes semblent cuites pour la Villard de Lans.
Heureusement, la loi sur l’élevage de 1966 mentionne l’intérêt de préserver les races locales. L’Institut de l’Elevage fait un recensement des animaux présents, un livre généalogique est créé, un programme de conservation est mis en place. Les effectifs commencent à remonter lentement. Dernier coup de pouce : la création de l’AOC Bleu du Vercors-Sassenage en 1998, dont le cahier des charges autorise seulement les races Montbéliarde, Abondance et Villard de Lans. En 2007, le cheptel compte 285 femelles dont 235 vaches, 27 taureaux disponibles pour l’insémination. Une association d’éleveurs a été créée. Aujourd’hui, la race n’est pas encore sauvée mais on peut considérer que le petit groupe de passionnés qui œuvrent à sa sauvegarde a réussi à renverser la vapeur. Tous les espoirs sont permis.
NB : J’emprunte la carte du PNR du Vercors et la photo de la vache au site officiel de la race, et la photo du Bleu du Vercors au syndicat interprofessionnel des producteurs.
1) Râleuse, moi ? Allons donc…
2) Pour les connaisseurs : TB de référence à 41.
Je lis tout ce que vous publiez, je voyage, j’apprends, je goûte, je râle avec vous alors merci et bonne suite !
Merci à vous :o)
Il est bien dommage que toutes ces races locales de vaches ont disparu ou disparaissent peu à peu. La faute à la rentabilité. Il faut se spécialiser : OU viande OU lait, mais pas les deux.
Difficile aussi d’avoir plusieurs races sur un territoire, car les marchés locaux sont preneurs d’une seule (ou deux) race. Chez nous, pour les vaches allaitantes, c’est surtout limousin, il y a qq blondes d’Aquitaine, qui ne se vendent pas aussi bien que les limousines.
Ou alors, il faut transformer, et vendre soi-même!
C’est encore toute une façon de travailler à découvrir ou redécouvrir.
Je partage entièrement ton avis. Heureusement, certaines AOC (maintenant AOP) ont permis de préserver certaines races. Par exemple, le cahier des charges du Beaufort impose la Tarine ou l’Abondance à l’exception de toute autre race, ce qui a sûrement permis à la Tarine de continuer à exister de manière très active. Pourvu que l’AOP Bleu du Vercors puisse jouer ce rôle pour la Villarde avant qu’il ne soit trop tard.
Je ne savais pas que l’Abondance était une race qui se perdait. Je me souviens lorsque j’habitais à Gap, (ou peut-être pendant nos vacances en Haute-Savoie, c’est loin vers les années 70/72), nous avions assisté à un concours de Abondance et les bêtes étaient magnfiques, en particulier un superbe taureau.
Il me semble qu’à Thônes, les agris qui nous louaient une maison de vacances avaient la race d’Abondance pour faire leur reblochon à la ferme.
Mon fils aurait voulu faire un stage de “veaux sous la mère” auprès d’éleveurs de Bazadaises. Il n’a pas pu trouver de stages car ils étaient trop peu nombreux et qu’ils ne pouvaient pas prendre plus de stagiaires. C’est dommage car ils ont des méthodes intéressantes, mais on ne sait pas exactement lesquelles.
Non, en effet, à ma connaissance, l’Abondance ne risque rien. Mais la Tarine, à une certaine époque, voyait ses effectifs se réduire de façon inquiétante. C’est en ce sens que l’AOC Beaufort lui a fait beaucoup de bien.
Jadis, ma mémé envoyait à la laiterie le lait de ses deux pauvres tarines pour faire du Sassenage. Elle a aussi eu une villarde, vache exceptionnelle, disait-elle parce que capable de travailler sans perdre son lait.
Ach, le Vercors, ses vaches, ses plateaux, son balcon est, ses bois bien fréquentés mais alors juste ce qu’il faut… Merci, ma Philo, ton article tombe à point nommé.
Tout le plaisir était pour moi. Je me disais bien que si tu passais par ici, tu ne résisterais pas à évoquer le Vercors. Et je dois dire qu’il y avait une petite arrière-pensée pour toi dans ce billet. Bois bien fréquentés, disais-tu…?
Je ne savais pas qu’en consommant du Bleu du Vercors (un de mes fromages préférés, il existe aussi en bio d’ailleurs) je soutenais des races de vaches à protéger. Merci pour cet article !
He oui, tu vas pouvoir te faire plaisir en faisant une BA. Si ce n’est pas du bonheur culinaire, ça !
(Un de tes fromages préférés, dis-tu ? Viens dans mes bras… )