Au nom de l’emploi

9_bmp110Discussion de fin de marché. Une terrasse de café, un grand soleil, un panier de légumes à nos pieds, une joyeuse effervescence qui bourdonne du plaisir de retrouvailles amicales. La conversation glisse, je ne sais comment, sur la volonté de certaines laiteries de vendre du lait à la Chine et le coût écologique de l’opération : transporter du lait sur des milliers de kilomètres n’est assurément pas le meilleur moyen de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Un quidam -au demeurant fort sympathique- intervient : Oui, mais si on veut préserver l’emploi en agriculture, il faut bien exporter du lait.

L’emploi. Discours récurrent… Ainsi donc, au nom de l’emploi, il faudrait faire fi de l’énergie consommée pour déshydrater le lait et pour le transporter, ainsi que du bilan carbone de l’opération. Choisir entre l’emploi et l’écologie, en d’autres termes ? Je trouve vraiment étrange, et terriblement paradoxale, cette plaidoirie pour l’emploi quand il s’agit d’envoyer du lait à l’autre bout du monde, alors que par ailleurs, on encourage l’installation des robots qui détruisent de l’emploi, on encourage l’agrandissement des exploitations au détriment des structures de petite taille. Je trouve insupportable ce recours à l’argument de l’emploi contre l’urgence écologique.

Si on suit ce raisonnement, on peut faire n’importe quoi au nom de l’emploi :  couvrir le pays d’aéroports et de zones commerciales, fabriquer des bombes, détruire quelques villes (la reconstruction créera des emplois), démolir la planète… Tiens, je suis sure que certains se frottent déjà les mains parce que la nécessité de s’adapter au dérèglement climatique va créer des emplois.

Quand on en est là, obligés de choisir entre l’emploi et la vie -car c’est de cela qu’il s’agit : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’Homme mène une expérience grandeur nature et il se met lui-même dans l’éprouvette- c’est qu’il y a vraiment quelque chose qui, fondamentalement, ne va pas. C’est aussi qu’on raisonne à l’envers, les emplois devraient résulter du besoin de réaliser telle ou telle activité nécessaire. Au lieu de quoi, on en est à inventer n’importe quelle activité à seule fin de créer des emplois… C’est le signe patent que nous sommes dans une impasse. On est en train de foncer dans le mur.

Au nom de l’emploi, on se propose de faire n’importe quoi. Sauf si cet argument est en réalité un écran de fumée, un prétexte, et que la véritable motivation s’appellerait plutôt… “profits” ? Quelle hypocrisie…

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8 comments for “Au nom de l’emploi

  1. monique
    4 juin 2014 at 11 h 15 min

    ben oui, le mot (le mot seulement) emploi, ou le mot croissance ne sont que des hochets agités pour nous occuper pendant que ce qui est créé en détruisant notre milieu, ce n’est que de la richesse qui sera de toute façon confisquée.

    C’est important de (re)considérer les mots qu’on nous fait entrer dans la tête à force de les répéter…

    J’espère que l’interlocuteur sympathique du marché aura commencé à réfléchir autrement

    • Philomenne
      4 juin 2014 at 19 h 00 min

      Je crains que non mais il y avait des auditeurs attentifs… qui peut-être n’en ont pas pensé moins.

  2. isa
    4 juin 2014 at 14 h 19 min

    Nous sommes aussi dans la même ligne que toi.. Je crois que nos politiques et décideurs ont peur, ne savent plus par où prendre le problème, sentent que les gens sont inquiets, que le plus grave c’est la main mise des financiers sur tout le reste… est-ce que c’est parce qu’on fait un travail en lien avec la nature (ses cycles et ses caprices) que l’on a une analyse différente… mon mari dit aussi qu’on est au bout d’un système…

    • Philomenne
      4 juin 2014 at 20 h 00 min

      “Au bout du système”, c’est aussi mon point de vue. Mais va faire comprendre à ceux qui en vivent qu’on est tous sur le même bateau et que s’il coule, ils couleront aussi.

  3. 8 juin 2014 at 15 h 43 min

    J’acquiesce de toute ma tête tant je partage ton analyse.

    Mais peut être à la différence de toi , ces constatations me coupent les bras et les jambes, ça m’anéantit.

    Mais que faire ????

    On fait ce qu’on peut dans notre tout petit entourage mais ça semble tellement dérisoire …

    Isa , j’aimerai penser que nos collègues en lien direct avec la terre et les animaux qu’ils élèvent, quand ils en élèvent , ont une vision différente de ce qu’exprime Philo ,

    Force est de constater que ce n’est malheureusement pas le cas, pas encore, trop occupés à fouetter d’autres chats …

    • Philomenne
      8 juin 2014 at 20 h 00 min

      Non, ce n’est pas le cas parce que les producteurs ne sont pas les décideurs. Même les élus des coopératives ont en réalité très peu de pouvoir sur la commercialisation des produits. Et puis, il y en a parmi eux qui tiennent ce même discours.

      (Merci pour le lien depuis chez toi… )

  4. 2 janvier 2015 at 11 h 22 min

    En parlant d’emploi agricole, je repense à un article de reporterre (http://www.reporterre.net/spip.php?article4051)
    Après recherche, j’ai trouvé le lien sur terre de lien : http://convertisseur.terredeliensnormandie.org/medias/pdf/dossier_de_presse_convertisseur_mars_2013.pdf (page 4)
    En gros, pour créer 600.000 emplois en agriculture il suffit de tous s’alimenter local. 😉

    Désolé pour tout ces liens, mais c’est mieux expliqué que si je retranscrivais.
    Donc l’argument de l’exportation est juste faux.

  5. 16 novembre 2017 at 8 h 28 min

    “Oui, mais si on veut préserver l’emploi en agriculture, il faut bien exporter du lait.” Lorsque j’étais étudiante vétérinaire expatriée au Burkina, j’ai vu les femmes porter le lait des zébus sur leur tête jusqu’au marché où elles le vendent 200 FCFA le litre… Au même prix qu’y est vendue la brique de lait produite en hollande, stérilisée, acheminée par bateau jusqu’en Cote d’Ivoire, puis en “bâché” jusqu’au Burkina. Les subventions ne permettent pas au paysan européen de vivre décemment, le transport de sa production est écologiquement aberrant et économiquement désastreux pour les pays d’arrivée où il torpille l’économie locale. Au passage les intermédiaires sont eux aussi exploités. Le tout profitant à quelques spéculateurs à la tête de holdings ôtant toute humanité au commerce de l’alimentation.

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