Les média en sont saturés : c’est la crise. Peut-être une des pires crises agricoles depuis l’avènement de l’agriculture moderne. Rien de factice dans tout cela ; les difficultés des exploitants qui manifestent sont réelles et elles sont graves. Elles le sont d’autant plus que ceux qui les ont poussés dans cette situation, en leur faisant croire que c’était la seule ou la meilleure possibilité, sont en train de les laisser tomber.
On ne voit pas très bien, en l’état actuel des systèmes conventionnels, comment en sortir. Les exploitants sont généralement au minimum en termes de charges opérationnelles par rapport à leurs performances techniques qui, elles, sont au maximum. Ils n’ont pas de prise sur le prix de vente de leurs produits, qui sont définis par le marché. Et si on fixe un prix politique, les problèmes ne sont que déplacés ; voir le refus de la Cooperl et de la Socopa de participer aux cotations sur le marché au cadran de Plérin. C’est l’impasse.
Et au milieu de tout ce bazar, voici que m’arrive une bulle d’espoir rafraichissante. Je tombe sur Ludovic. 120 vaches laitières. Pas spécialement en agriculture biologique. Pas spécialement alternatif dans sa façon de commercialiser son lait ; c’est la laiterie qui collecte et c’est tout. Il est hors de question de transformer ou de faire de la vente directe ; “pas envie”. Niveau d’étable 1 ? Inférieur à 5000 litres. Avec les vaches qu’il a, il pourrait faire le double mais il ne le fait pas, volontairement. Un scandale. EBE ? Positif. Un double scandale, vues les circonstances… Et il gagne sa vie, même quand le prix du lait est terriblement bas.
Dans un pays où il est bon de pousser les performances techniques à l’extrême par la recherche de rendements maximums, où l’on fait croire aux agriculteurs que c’est la seule voie possible pour gagner sa vie, Ludovic fait autrement et ça fonctionne très bien. Inspiré par ses stages, qu’il a faits en Nouvelle-Zélande, il a construit son exploitation sur la recherche de la performance économique et pas sur celle de la performance technique. Le niveau d’étable ? Ce n’est pas une priorité. Ses vaches mangent essentiellement de l’herbe, de l’ensilage, du foin, très peu de concentrés. Elles sont dehors toute l’année ; de toute façon, le bâtiment est loin d’être assez grand. Les veaux sont dehors aussi, nourris au lait yaourt. La salle de traite a été conçue et pensée pour être fonctionnelle et gagner du temps, elle a nécessité des investissements, mais il n’est pas question d’un robot ni d’un roto-tandem. Hormis un petit tracteur antédiluvien, il n’y a pas de matériel dans la cour de la ferme. Tout le matériel utilisé appartient à la Cuma, qui réalise la plus grande partie des travaux de cultures. Certes, ça marche aussi parce que l’exploitation qu’il a reprise le permet. Les terres sont suffisamment grandes et les parcelles, groupées autour du bâtiment, permettent d’exploiter l’herbe au maximum. Le système est simplifié à l’extrême, dans l’objectif de réduire les coûts le plus possible, même si c’est au détriment des performances techniques. Quelle importance ? L’objectif, c’est d’avoir un EBE positif.
Ludovic traverse la crise sereinement. Un peu étonné, semble-t-il, de voir ses confrères au désespoir. L’incompréhension est réciproque, si on en juge par les critiques dont il a été assaisonné, au moment de son installation et régulièrement depuis. Mais quoi qu’il en soit, il n’a pas de motif d’aller manifester.
J’ai longuement parlé avec lui et j’en suis ressortie avec la conviction que c’était probablement dans cette direction qu’il fallait chercher, plutôt que vers une généralisation utopique de la vente directe 2, par exemple. D’autant plus que ce type de système, extensif, qui réduit les charges opérationnelles, très peu gourmand en endettement, est adaptable à tous les types de labellisations. Il n’exige pas que l’on fasse de l’agriculture biologique, mais c’est possible aussi. Et il est dans les clous en ce qui concerne les lois sur le bien être animal. Reste à savoir si ce qui est vrai en production laitière est transférable aux productions de porcs ou de volaille. Mais je vois mal comment ça ne le serait pas.
Quoi qu’il en soit, fondamentalement, ce type d’élevage remet en cause ce dogme : plus on est performant techniquement, plus on est riche. Un dogme qui est, quand on y pense, de la même veine que celui de la “croissance économique”, l’idéologie du toujours plus. Une idéologie dont on découvre jour après jour à quel point elle conduit tout le monde dans l’impasse. Et combien elle engendre de souffrances.
Il serait temps d’en changer…
analyse pertinente de la crise agricole actuelle.
Merci…
Extrêmement intéressant.
“il a construit son exploitation sur la recherche de la performance économique et pas sur celle de la performance technique”
N’oublierait-on pas, parfois, qu’une exploitation est avant tout une entreprise ?
Et sinon, assez d’accord avec vous sur la vente directe, trop souvent présentée comme la panacée (vision boboïsante de la responsabilisation du consommateur ?).
Même si ça peut marcher (chez nous, ça donne parfois de bons résultats : https://fr.wikipedia.org/wiki/March%C3%A9_de_Coustellet), c’est et ça restera un à côté…
(et merci pour vos textes, que je lis avec attention même si c’est mon premier commentaire)
Bonjour,
merci philomenne pour ce témoignage!
Ca change du pessimisme ambiant! 😉
Chère Philomenne, merci pour le partage de cette expérience inspirante.
” Less is more ” ou bien ” weniger ist mehr ” … ou encore ” le moins, c’est plus” pour reprendre cette célèbre idée du Bauhaus.
Une certaine simplicité, pas seulement d’apparence mais de moyens pour créer à notre échelle.
Peut-être dans un esprit plus artisanal.
Tant mieux pour Ludovic si sa situation géographique lui permet d’exploiter intelligemment !
Tout le monde n’a pas cette chance :
– climat propice à la pousse de l’herbe (et si possible dix mois sur douze). Demandez aux éleveurs touchés par la sécheresse ce qu’ils pensent d’un système fourrager basé sur l’herbe !
– structure du parcellaire et nature du sol le permettant
Que doivent faire les autres ( qui représentent les 2/3 des producteurs) ou autrement dit faut-il concentrer la production laitière sur une bordure maritime à l’ouest ?
Les volailles et le porc ont déjà pris ce chemin et on voit le résultat!
Sur le fond il faudra bien un jour répondre aux questions suivantes:
– veut-on encore de l’élevage en France ?
– si oui où et sous quelle forme ?
Peut-on continuer de tolérer un système ultra libéral pour ce qui concerne l’alimentation de la planète ?
Merci pour votre commentaire.
Comme je le dis dans mon billet, les vaches ne sont pas nourries avec de l’herbe à 100%. Elles ont aussi de l’ensilage (herbe et maïs). Précisément pour les cas que vous citez. D’autant que dans son cas, les terres sont plutôt séchantes.
Mais il y a des régions où l’usage des ensilages est impossible (je pense notamment aux zones en AOC, qui les interdisent) et dans ce cas, les vaches mangent du foin quand il n’y a pas d’herbe. On a oublié cela mais le tout herbe, ça veut dire du foin quand il n’y a pas d’herbe…
Concernant la structure du parcellaire, vous pointez, avec justesse à mon avis, un écueil important. Ludovic a la chance d’avoir un parcellaire très groupé. Quand ce n’est pas le cas c’est plus difficile. (Il a aussi fait un énorme travail de restructuration de ses pâtures en s’installant et il a rationalisé au maximum.)
Sinon, je suis entièrement d’accord avec vous : concentrer la production de porcs et de volaille dans l’ouest de la France était une connerie, le faire (que ce soit dans cette région ou dans une autre) avec les productions bovines en serait une autre.
Et je me joins à vous pour poser les questions que vous posez à la fin de votre commentaire. A la dernière, je réponds “non”, c’est ma conviction…
Ben oui, autant de systèmes que de fonctionnements efficaces .
Un peu de positivisme cela fait du bien non?
Plus de messages de Philomenne ? La crise a eu raison de ta peau ?
Je suis toujours là. Happée par des tas de trucs, mon énergie d’écriture “pompée” par d’autres travaux… je regrette de ne pas arriver à m’y mettre, même si j’en ai très envie. Mais ça va venir. ça mijote. Dès que c’est cuit je vous le ferai savoir, promis.