C’était ce vendredi, au centre socioculturel de la ville de Josselin. Imaginez des barrières métalliques, disposées en entonnoir. Au bout, un sas, des vigiles. Les salariés sont appelés un à un, par ordre alphabétique, à passer par ce sas. A l’intérieur, on leur remet une enveloppe. Une enveloppe qui contient un badge et un papier rose. Ou pas. 755 personnes sont passées par ce dispositif pendant la matinée, 225 d’entre elles n’ont pas reçu le papier rose. Virées, lourdées, licenciées, en fonction de critères dont personne ne saura rien. A la sortie, certains des licenciés pleurent. “C’est bien qu’ils aient fait ça un vendredi, dit l’un d’eux, ça laisse le week-end pour se suicider”. Ambiance. Certains d’entre eux avaient accepté, après la fermeture du site de Lampaul-Guimiliau, d’être réembauchés ici, et pour cela ils avaient déménagé avec leur famille. Licenciés à nouveau, ils ont la sensation d’avoir consenti un sacrifice inutile. Dans certains cas, ce sont les deux personnes d’un couple qui ont été remerciées. Les derniers de la liste ont attendu plus de quatre heures pour connaitre leur sort. Aucune révolte, quelques mots de désespoir, des larmes. Les gendarmes en attente à quelques centaines de mètres se seront révélés bien inutiles.
A la toute fin, cynisme ou incompréhension totale des enjeux, la parole du maire : “C’est un miracle”. Sans commentaire.
Que l’on licencie, certes 1. Mais était-on obligés de mettre en place un dispositif qui singeait le fonctionnement d’un abattoir ? Etait-on obligés de faire attendre les salariés pendant plus de quatre heures, dehors, debout… -et je n’ai pas connaissance qu’on leur ait même proposé un café en attendant ? Tout cela est d’une violence inouïe. C’est avec ce genre de procédés qu’on casse les personnes, qu’on les soumet, qu’on les désespère. Et c’est proprement révoltant.
C’est d’autant plus révoltant que Gad est une de ces entreprises qui emploie essentiellement des ouvriers, à des tâches physiquement difficiles. Et comme souvent dans ce genre de cas, il y a une forte cohésion dans les équipes, un sentiment d’appartenance important des salariés, une fierté de faire son travail et de faire partie de l’entreprise depuis longtemps. Au cours de la matinée de vendredi, ils ont réalisé que c’était du vent, ou plutôt, que c’était un sentiment non réciproque. Pour l’entreprise, les ouvriers sont des numéros que l’on peut faire passer sous les fourches caudines alors même qu’ils ne sont pour rien dans sa faillite. Ils deviennent ainsi doublement victimes, quand les responsables de cette situation (et j’entends “responsable” au sens large, c’est-à-dire en englobant ceux qui sont restés passifs alors qu’ils auraient pu prendre la situation à bras le corps quand il était encore temps) s’en sortent sans une égratignure.
Ce qui s’est passé vendredi au sein de l’entreprise Gad n’est certes pas un événement unique ; maltraiter les salariés est devenu une habitude dans notre système économique. C’est une évidence qu’il ne devrait pas être permis de traiter qui que ce soit de cette manière. Mais au-delà et surtout, cela participe d’une logique plus globale : élevage industriel qui maltraite les animaux, production intensive (ici de porcs) par des éleveurs qui sont eux-même maltraités par les coopératives, abattage à la chaine dans un abattoir qui maltraite ses employés, commercialisation dans les supermarchés dont les caissières n’ont pas un sort très enviable, éventuellement après passage par la transformation dans l’industrie agroalimentaire qui ne maltraite pas moins ses salariés. Au bout de la chaine, le consommateur, qui mange un aliment dont la qualité laisse à désirer. C’est cette logique globale qu’il faut changer.
Mes sources : Le Monde, Ouest France, Le télégramme, Terre-net et une personne qui s’y trouvait et m’a raconté sa matinée ; je ne peux bien entendu pas citer son nom.
Notes:
- Encore qu’il y aurait beaucoup à dire sur le fait que la crise qui touche l’entreprise Gad depuis près de vingt mois, et a déjà entrainé le licenciement de neuf cents personnes, aurait pu être prévenue et traitée en amont, bien avant d’en arriver là. Depuis des années, l’entreprise était en difficultés, en proie aux modifications de la conjoncture, victime d’erreurs de gestion et du turn-over incessant des responsables de site… Le camion fonçait dans le mur et personne n’a pris l’initiative de tourner le volant à temps. ↩
Je reste coi devant tant d’incompréhension : les ouvriers qui ont donné tout ce qu’ils pouvaient et se heurtent à un mur, à l’humiliation d’être devant le fait accompli, et de l’autre côté les décideurs qui ne regardent que le bilan pourvu que le plus gros reste dans leurs poches.
Je me pose d’autres questions aussi, car ce n’est pas le premier abattoir à resteindre, puis à fermer :
-est-ce parce que les consommateurs ne mangent plus de poulets?
-ou de poulets français?
est-ce parce qu’il n’y a plus d’éleveurs?
-ou alors que vont faire les éleveurs dont les animaux étaient abattus dans cet abattoir : un plus grand trajet et de stress pour les poulets, déjà bien malmenés quand ils sont “récoltés” dans les fermes
Il risque d’y avoir également d’autres personnes sans emploi : ces éleveurs qui ont investi et qui se retrouvent sans débouchés, sans contrat, avec des emprunts et pas d’indemnités, ni de chômage.
Qui a dit qu’il fallait un volant de chômeurs assez grand pour que la population accepte toutes les contraintes sans broncher (les chômeurs ne sont pas syndicalisés, et n’ont aucun pouvoir de pression dans les rues)
Nous vivons une bien triste époque
Bonne journée quand même Philo!
En réalité, Gad ne s’occupe pas des poulets mais de porcs, exclusivement. Cela étant, tes questions restent largement valables.
Est-ce que les consommateurs ne mangent plus de viande ? Ils en mangent moins, c’est un fait. Mais surtout, pour répondre à ta deuxième question, une grande partie de cette viande est importée, pendant que les producteurs français se bagarrent pour vendre à l’étranger. On marche sur la tête ? Je le pense, oui.
Puisque tu parles des poulets, je lis dans le Ouest France daté de samedi que 42% de la volaille consommée en France est d’origine étrangère. Une proportion qui monte à 87 % si on considère seulement le poulet consommé dans les cantines, restaurant et sandwicheries. (source)
Les éleveurs, quant à eux, sont toujours là. Ils sont moins nombreux en termes de nombre de fermes mais comme les fermes grandissent, je ne sais pas si le volume produit a été modifié. Quoi qu’il en soit et concernant Gad en particulier, depuis plusieurs années l’entreprise ne fonctionnait plus à la hauteur de ses capacités, donc elle perdait de l’argent. Est-ce parce que la production a baissé ou est-ce parce qu’on a fait la bêtise de trop faire grossir l’outil de travail Gad ? La question est posée.
Merci pour ta réponse.
Peut-être que j’ai fait un raccourci quand j’entends Gad, je vois “Gaye” un abattoir de volailles en Dordogne où il y a eu beaucoup de problèmes avec le directeur-fondateur : subventions qu’il a gardées pour lui (donc non-investissements) heures sup’ non payées, le personnel très mal traité, et j’en oublie. Le Tribunal l’a obligé à vendre, c’est maisadour qui a repris il y a deux ou trois ans, mais j’ignore comment va cette entreprise, on n’en parle plus.
Volaille ou porc, on marche un peu sur la tête avec ces politiques d’importations (faire plaisir aux pays étrangers : échange de contrat) et d’exportations.
Bonne journée, Philo
Pour répondre à Philomene, ben si heureusement y a des syndicats de chômeurs.
Non ils n’ont pas la visibilité de TF1 ni celle de la rue.
http://www.actuchomage.org/
http://cgtchomeursrebelles56.blogspot.fr/
entre autres, ce qui n’empêche pas au quotidien de mener des actions d’accès aux droits, pierre achoppement de tous dans ce pays, que ce soit du côté des privés d’emploi comme de ceux qui ont-on se demande pour combien de temps, dans quelles conditions de salaire et de santé-l’hénaurme chance d’en avoir un.
Résister au nivellement par le bas est un sport de combat.
Et pour lever toute ambigüité par rapport à la déclaration de Macron qui a dit que les salariés de cet abattoir étaient illettrés, cela correspondait au résultat d’une enquête dont le Canard Enchaîné a fait état, évidemment dans sa bouche ça faisait désordre, aussi mal que les sans-dents dans la bouche de celui censé nous représenter au plus haut sommet de l’Etat.
La réalité des boulots insupportables, que ce soit en terme de contenu du labeur, de paye, d’environnement de travail et d”écologie tout court doit néanmoins être remise en cause à tous les niveaux pour la qualité de notre nourriture et le lien évident aux populations du Sud qui souffrent de nos exportations.
Remettre en cause le modèle exportateur français suspendu aux mamelles de la PAC, que nous finançons de notre poche, il faut arrêter de penser que l’europe est une manne, c’est une caisse où nous abondons largement.
Alors tout se tient : prélèvements fiscaux, politiques publiques, parasitage du privé, je parle des gros come DOUX évidemment, notre assiette, nos maladies et le devenir d’une population toujours plus suicidée et atteinte des cancers professionnels : la paysannerie française; et en Bretagne on atteint les sommets des chiffres…
Les accointances type bonnets rouges sont loin d’embrasser la cause dans leur totalité, c’est pourquoi je constate leur flop.
Et les actions de violence comme celle de Morlaix, incendie MSA et Centre des Impôts sont inacceptables par essence, si je puis faire ce mauvais jeu de mots; mais voir les politiques s’intéresser aussitôt et mettre des pansements sur jambe de bois alors que c’est la grande distribution qui affame toujours plus les producteurs.
A part boycotter durablement ces systèmes, c’est tout ce que je peux proposer de concret, le nombre ne fait-il pas la force ?
bien à vous, baartman
Merci beaucoup pour ce long commentaire.
Je ne suis pas tout à fait certaine d’avoir compris à quoi vous répondiez au tout début mais quoi qu’il en soit, j’observe que nous sommes d’accord sur à peu près tout…
Il y a eu un reportage au journal de la 2 (il me semble), je crois bien que c’était le 19/20. Bien sûr un peu “allégé”, on ne nous a pas dit que des gens étaient restés toute la journée mais on a bien vu la dispositif d’attente. Je ne comprends pas qu’on traite les employés comme ça !! il y a vraiment à faire dans notre pauvre France pleine de contradictions, au moment où on va donner un statut à l’animal, on traite les hommes comme du bétail, j’ai parfois envie de disparaitre loin, de ne plus rien voir et savoir de tout ça. Vivre en ermite ????