On a beau colmater, c’est toujours une surprise, l’étendue de notre ignorance.
Daniel Pennac
Je viens de recevoir, une fois encore, un très gentil message me demandant un conseil de jardinage. Une demande qui fait écho à celles que je reçois régulièrement dans ma vie “hors toile”. Qu’on ne se méprenne pas, je suis ravie qu’on se tourne vers moi et flattée qu’on me suppose compétente. Hélas… Une fois encore, j’ai été obligée de décevoir mon interlocutrice. Résumons ce qui parait légitimement confus pour les non-initiés.
Notre belle planète nous permet de produire une grande quantité de choses intéressantes, pour notre nourriture, notre habitat, nos vêtements, notre plaisir. Arbitrairement, elles ont été réparties en plusieurs catégories correspondant à autant de domaines professionnels :
– Bovins (pour le lait et/ou la viande) – Ovins (pour le lait, la viande, la laine) – Caprins (pour le lait et/ou la viande) – Volaille (depuis la caille jusqu’à l’autruche, en passant par le canard gras et la poule pondeuse) – Porcs (pour la viande et tout le reste ; tout est bon dans l’cochon) – Abeilles (pour le miel, le pollen, la cire, la propolis, la gelée royale) |
– Chiens – Chats – Oiseaux d’agrément – Poissons d’aquarium etc… |
– Céréales : Blé, orge, maïs, triticale… – oléagineux : colza, tournesol, chanvre… – Protéagineux : soja, pois, féverole, lupin, luzerne… – Grandes cultures légumières (le plus souvent pour la conserve) -Plantes à fibres : lin, chanvre… |
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Les compétences d’un.e ingénieur.e agronome (ou en agriculture 1) concernent les colonnes 1 et 3. La colonne 4 regroupe toutes les compétences de l’horticulteur (et en la matière, comme en agriculture, il y a des techniciens, des ingénieurs…). Quant à la colonne 2, c’est encore un autre domaine, voyez Boule de Fourrure ou les éleveurs spécifiques.
Or donc, comme je suis ingénieure agronome, je n’ai reçu aucun cours de jardinage à l’école. He non. Je n’ai pas appris à cultiver les carottes, ni les fruits. Je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire pour avoir de belles tomates, je suis encore moins capable de vous conseiller au sujet de la culture d’un cactus. Je ne connais rien non plus aux plantes dépolluantes et quant à la taille des rosiers, elle est pour moi un mystère total. Certes, j’ai un petit jardin, mais il est loin d’être un modèle du genre (on peut même dire qu’il ressemble plus souvent à une petite jungle qu’à un parfait potager) et je me considèrerai toujours comme une novice en la matière ; si avez quelques années de jardinage derrière vous, c’est plutôt moi qui ai des conseils à vous demander.
Si je connais un tout petit peu les oiseaux, c’est parce que je m’y suis intéressée à titre personnel, mais alors pour les poissons, ne me demandez rien (je sais juste les manger, à l’occasion). Idem pour les arbres, je sais différencier un chêne d’un hêtre, un peuplier d’un bouleau, mais en dehors des basiques, j’avoue mon ignorance. Etc.
Je vais arrêter là l’étalage de mon inculture potagère et forestière. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne sert à rien de me demander des conseils en horticulture ou en élevage de poissons rouges. Je n’en sais pas plus que vous. Je sais comment on élève une vache ou comment on cultive du blé, oui. Je peux même à l’occasion vous faire un topo sur la méthanisation. J’ai des connaissances en pédologie, en économie, en comptabilité, en gestion, en sociologie rurale. Je peux vous parler des vers de terre. De la luzerne. De la conduite en sept bandes dans les élevages de porc, des avantages comparés de la salle de traite en ligne haute ou en ligne basse et, plus généralement, de tout ce qui touche à l’agriculture. Mais de la culture des orchidées, vraiment pas. Et croyez bien que je le regrette… mais c’est comme ça.
Notes:
- La différence entre ingénieur agronome ou ingénieur en agriculture dépend de l’école dans laquelle on a fait ses études mais les compétences sont les mêmes ↩
Fausse modestie !
Vos connaissances de base seraient très utiles à celles et ceux qui veulent jardiner.
Le jardiner moyen sait comment faire chez lui après quelques années d’échecs et de réussite, après avoir écouté ses voisins… S’il déménage, il doit réapprendre beaucoup et vous pourriez être utile en expliquant comment on adapte ses pratiques au sol et au climat.
Le jardinier moyen entend parler de méthodes toutes plus miraculeuses les unes que les autres mais a du mal à discerner le possible de la secte.
Exemple : est-il sain d’introduire beaucoup de lignine dans un milieu en équilibre quand il décompose de la cellulose ? Je vise le BRF : au Canada, on broie des branches jusqu’à 1 cm de diamètre (bois raméal), en France, par manque de ressources, on broie jusqu’à sept centimètres. Quel peut être l’effet de cette pratique à terme sur des sols qui doivent faire pousser des radis et pas des chênes ?
Je viens donc vous contredire : vous disposez de connaissances qui vous permettent de répondre à de nombreuses questions des jardiniers, pas en disant comment, mais en disant pourquoi.
Et pourquoi ne commenceriez-vous pas une rubrique avec les fondamentaux (climat, sol, plante pour reprendre Dominique Soltner). Je serai votre premier lecteur.
Pourquoi “fausse” ?
C’est vrai, sur les sols, j’ai quelques connaissances… mais pas toujours transférables au jardin. Cela dit, c’est plutôt une bonne idée. Je vais me pencher dessus à l’occasion.
Juste un mot sur le triptyque “sol-climat-plante” : il n’est pas de Soltner. Il est commun à tous les agronomes.
Toutes mes excuses pour le “fausse modestie”, dont le sens a changé au fil des décennies (la rançon de la vie au fond des campagnes, sans télé, à lire de vieux grimoires et à écrire sur rien)
La plus grande différence entre un jardinier et un agriculteur professionnel est le coût de la main d-oeuvre, mais les connaissances de base ne changent pas, que l’on utilise une bêche ou un charrue. La concurrence des adventices est la même, l’avantage de couvrir un sol aussi.
Donner à chacun les bases pour qu’il élimine les espèces trop concurrentielles mais qu’il laisse qui ne seront pas gênantes, voire utiles en hiver n’est pas superflu, vérifiez autour de vous.
Je parlais du triptyque de Soltner car c’est sa collection de livres qui est la plus connue, du moins pour ma génération. Faire appliquer les mesures de bon sens au jardin est générateur de beaucoup de progrès.
Par exemple, j’ai vu hier des personnes qui pulvérisaient une bouillie à la toxine du Bacillus thruringiensis sur des chenilles de pyrale du buis qui descendaient au bout de leur fil pour se nymphoser. J’ai lu la page où un “gourou” (selon mes jugements) du jardinage leur conseillait cette opération absolument inutile. Je leur ai fait lire la notice de Wikipédia sur le Bt et ils ont compris.
Voilà ce que vous pourrez apporter, entre autres.
Bonjour Philomene,
j’aimerais saluer le sérieux avec lequel vous tenez, alimenter avec beaucoup de pertinence et de volonté votre blog. J’ai pu y lire que cela n’était pas toujours facile, surtout lorsqu’il s’agit de cultiver un esprit critique, sans tomber dans la caricature et le rejet. Je viens souvent m’abreuver à vos articles. Une question : comment faîtes-vous ? Je veux dire quel est votre secret pour rester fidèle à votre projet depuis…. 2011 ? Quelles sont vos inspirations, aspirations ?
Ce soir, en me promenant sur le web, je fais la découverte de ceci : En direct des éleveurs. Connaissez-vous ? Au plaisir de vous lire, Pauline
C’est très gentil à vous mais je doute de mériter tous ces éloges, surtout en ce moment… Je vous remercie néanmoins.
Je vais aller voir ce que vous proposez.
Bonsoir, qu’évoque le ” surtout en ce moment ” ? Les méthodes de notre gouvernement actuel ? Et tous ces outils de communication mis en place pour donner l’illusion que tout se passe pour le mieux (cf. https://www.egalimentation.gouv.fr/projects). Je préfèrerai me tromper. Racontez-nous aussi vos espoirs.
Personnellement, suite à un voyage dans le Piémont italien, j’ai découvert à quel point il est appréciable de renouer avec les terroirs. Il faut parfois s’éloigner un peu pour savoir regarder ce que l’on a chez soi de bien. Les magasins de producteurs, sous la forme de coopérative commerciale implantée sur les territoires ruraux et urbains, semi-urbains sont il me semble une excellente chose pour comprendre et apprécier les métiers de l’agriculture. Le bio est une piste mais ne peut pas être la seule. En France on a tendance je trouve à vouloir le meilleur au détriment aussi d’une certaine solidarité sociale et collective qui implique non plus d’avoir des produits de moins bonne qualité mais de bons produits à des prix accessibles à chacun. C’est ça la justice alimentaire et sociale. Je déplore cette alimentation à plusieurs vitesses, de classe. Je trouve cela même assez tragique que seuls les plus riches peuvent apprécier et finalement accéder à ce qui devrait être le pain quotidien de tous. Il serait grand temps de soutenir via des politiques fiscales incitatives les agricultures qui respectent les êtres vivants. En comprenant ce que nous mangeons, nous nous comprenons aussi nous-mêmes. Il y a encore tout un tas de mythes aussi à briser il me semble, comme celui de l’homme fort, carnivore.
Je reste toutefois assez prudente en ce qui concerne la tendance écolo-moralisatrice actuelle qui consiste à faire peser à chacun de nous le poids de responsabilités industrielles et politiques aux conséquences massives. Cela ne concerne pas l’alimentation, mais par exemple, au sujet de la question du diesel qui est train de s’imposer auprès des personnes, faisant ainsi peser la menace d’une mort programmée dont chacun devrait assumer les conséquences dans sa vie de tous les jours. Je trouve cette dérive idéologique de l’écologie en dépit du bon sens et de la vie de millions d’individus très grave et inquiétante.
Cela rejoint peut être l’une des interrogations ou indignation de notre temps qui pourrait vous faire dire ” surtout en ce moment “. Ce sont en tout cas les questions que je me pose dorénavant plus que jamais.
Personne n’a soutenu que la conscience est un état agréable. C’est d’ailleurs plutôt le contraire. Alors peut-être les provocations actuelles vont-elles faire naître de nouvelles consciences et pratiques. Espoir.
“Surtout en ce moment” parce qu’en ce moment, je n’écris pas beaucoup. Rien de plus.
Pour le reste, je suis d’accord avec vous.
Le Bio est cher pour plusieurs raisons :
Il demande plus de main d’œuvre (et de réflexion), ce que notre économie charge à tout va, subventionnant les machines et faisant porter sur les seuls salaires le “modèle social”. Passer du système bismarckien à un modèle beveridgien pourrait être une solution, et pas qu’à ce problème, par exemple aux importations croissantes de produits que l’on pourrait très bien fabriquer en France.
Le Bio internalise tous ses coûts, alors que la chimie externalise le coût de ses pollutions et empoisonnements chroniques. Quelques taxettes bien pensées pourraient limiter la casse.
Il dépense (un peu) en recherche et plusieurs solutions qui en sont issues ont été adoptées par le conventionnel, sans aucun paiement. Les recherches de la chimie, elles, ne profitent pas au Bio.
Il est un marché de niche et beaucoup d’industriels et de distributeurs en profitent pour augmenter leurs marges. On réglemente les marges des pharmaciens qui vendent des produits de santé curative, on pourrait réglementer les marges de ceux qui vendent des produits de santé préventive. Les pharmaciens ne sont pas en faillite, après tout. Si les pourrimarchés ne peuvent plus appliquer qu’un coefficient de 1,5 sur les fruits et légumes (comme voici 30 ans au lieu de 5 à 10 aujourd’hui), ils vendront un peu plus cher Caca-cola, Pipi-cola et autres Merdos sans parler du Nutella et l’état de santé des français s’améliorera. “Le Coco de Paimpol paie pour le Coca d’Atlanta” dit Serge Papin, président de système U.
Un exemple : voici quelques années, un producteur d’oeufs “plein air oméga 3” vendait à l’industriel en moyenne 7,7 centimes l’oeuf. En hypermarché, on le trouvait à 25 ou 30 centimes. Il faudrait donc 18 centimes pour travailler un oeuf entre la ferme et le rayon. L’oeuf de poule élevée en cage était vendu environ 10 centimes, preuve que l’aval peut travailler un oeuf pour moins de 10 centimes. Si l’oeuf de qualité ne coûte que 3 centimes de plus à la production, son surcoût au consommateur pourrait être limité juridiquement à ces 3 centimes. Pour une famille de 4 personnes consommant 800 oeufs par an, le surcoût serait de 24 euros contre 120 à l’époque. Vous trouverez des milliers d’exemples similaires.
Les Etats-unis d’Amérique, patrie du grand capital et des multinationales de la malbouffe fournissent aux pauvres des bons d’alimentation. Depuis quelques années, une partie de ces bons ne peut être acceptée que par des producteurs locaux (et petits), et uniquement pour des fruits et légumes. Le pire est que cette mesure est entrée en application sous le gouvernement de M. Georges W. Bush, loin d’être un écolo ou un socialo.
Le comité Théodule réuni au sujet de l’alimentation se gardera bien de parler de ces sujets de fond et les cons-sommateurs continueront à manger de la M… dûment vantée par la publicité.
Je me retrouve bien dans ce billet… 🙂 je ne compte plus le nombre de fois où on m’a demandé des conseils sur les plantes vertes.. J’ai beau être ingénieur agro en spécialité horticulture, mon domaine reste la culture maraichère… non je ne sais pas pourquoi subitement ta plante verte dépérit dans ta maison. Alors oui je peux faire des extrapolations, sortir 30 explications plausibles sans aucune certitude, mais non je n’ai pas la recette miracle pour la faire guérir. Souvent les gens me regardent bizarrement.
Ce serait comme si on demandait à vétérinaire s’il pouvait donner un conseil sur des symptômes de grippe que présente ton enfant…
Cet article est tellement vrai pour tous les ingénieurs agro-agri : même dans notre domaine de compétence, on va connaître un domaine spécifique, nous sommes juste capable de nous adapter rapidement à une nouvelle culture/espèce. Les sachants tout me laisse toujours admiratif/dubitatif : soit mon cerveau est trop petit en rapport d’eux, soit notre formation nous amène à être trop carré et à éviter de sortir de grosses bêtises. Ceux qui ont zappé l’intérêt de ces formations vont directement aux conclusions, ils terminent gourou et font des reproches à ces agros qui font faire des erreurs.