Vous avez vu le compte à rebours s’égrener dans la marge depuis quelques temps et c’est aujourd’hui qu’il s’arrête.
11 mars 2013, Fukushima : deux ans.
Deux ans déjà, parce que pour la population, c’est beaucoup. Deux ans seulement, parce qu’à l’échelle de la radioactivité, ce n’est rien, quand on sait qu’il faudra des siècles pour que la région concernée par l’accident commence à redevenir un minimum vivable.
La population ?
En dehors de la zone la plus proche de la centrale (dans un rayon de 20 km), les habitants n’ont pas été évacués. Il n’y a pas eu de distribution de pastilles d’iodes et seules des mesures de confinement, dérisoires et inutiles dès lors qu’elles durent plus de quelques heures, ont été prises. Les populations n’ont pas été informées qu’il ne fallait plus consommer de légumes-feuilles (épinards, salade, etc.) ou de lait. On les a laissées subir des doses extrêmement élevées, alors qu’il aurait été possible de l’éviter par l’information et par des mesures préventives. Livrées à elles-mêmes, entre désinformation et absence d’information, elles n’ont pas été protégées comme elles auraient pu et auraient dû l’être. Aujourd’hui, dans la zone qui se situe entre 20 et 80 km de la centrale, plus d’un million de personnes vivent dans un environnement contaminé, reçoivent quotidiennement des radiations, mangent des aliments contaminés. Les autorités japonaises ont abandonné une partie de la population aux radiations. Les conséquences sanitaires sont pour le moment imprévisibles en termes de nombre de victimes ; certaines d’entre elles ne sont d’ailleurs pas encore nées. Mais à la lumière des suites de la catastrophe de Tchernobyl, on sait déjà que l’on peut s’attendre à des cancers de la thyroïde ou des os, à des leucémies, à des pathologies cardiaques, à des malformations congénitales… les premiers concernés étant les enfants et les jeunes adultes.
Le 28 février dernier, l’OMS a officiellement reconnu que le nombre de cancers allait augmenter à Fukushima. Jusqu’à 70 % d’augmentation pour les cancers de la thyroïde, par exemple. Les autorités japonaises savent tout cela. Elles ne prennent pourtant aucune mesure pour l’empêcher. Elles continuent à multiplier les mensonges et à soutenir que vivre dans ces zones contaminées ne présente aucun danger. Et pour légitimer leur propos, elles ont relevé les normes des doses de radiations admissibles.
L’académie des Sciences de New-York estime le nombre de morts dues à la catastrophe de Tchernobyl à un million en vingt ans. Combien de morts fera celle de Fukushima ?
La région ?
Fukushima se trouve dans la région du Tohoku, qui couvre le nord-est de l’île de Honshu, la principale des îles qui constituent le Japon. L’économie de cette région reposait essentiellement sur l’agriculture. Le riz (20 % de la production nationale), les fruits, les légumes, l’élevage dans une moindre mesure. Qu’est devenue cette activité essentielle ?
Dans les jours, les semaines, qui suivent une catastrophe nucléaire, des particules radioactives s’échappent du réacteur en fusion. Elles forment un nuage plus ou moins grand (une partie de l’Europe après Tchernobyl, le nord du Japon et une partie du pacifique après Fukushima) qui retombe au sol en fonction des vents et des précipitations. Les particules tombent sur le sol et le contaminent en surface. Par la suite, elles s’infiltrent dans le sol avec la pluie. Les problèmes que cela pose sont de plusieurs ordres. D’une part, le sol devenu radioactif émet des radiations. D’autre part, des poussières elles-mêmes radioactives s’en détachent et peuvent être inhalées (a fortiori si on travaille ce sol) et donc contaminer les individus. Et enfin, les plantes cultivées sur ce sol vont elles-mêmes être radioactives donc impropres à la consommation.
Aujourd’hui, une partie du Tohoku est devenue incultivable, terres contaminées au césium, perdues pour la production, probablement pour plusieurs siècles, perdues pour les agriculteurs qui les cultivaient, définitivement.
Comme les particules du nuage ne se déposent pas de manière homogène, certaines zones de la région produisent des aliments consommables. Mais la difficulté est qu’il faut faire des contrôles permanents et que la population japonaise renacle à consommer les produits issus du Tohoku (et on la comprend, tant elle a été abreuvée de mensonges). C’est donc aussi économiquement que la région souffre, en plus de la radioactivité elle-même : les agriculteurs dont les produits sont consommables ne sont pas indemnisés mais ils n’arrivent pas à vendre leur production.
Une partie des terres pourrait, peut-être, être décontaminée. Mais pour cela, il faudrait soit les décaper sur une trentaine de centimètres d’épaisseur (ce qui implique des problèmes de stockage de la terre retirée, comme avec tous les déchets radioactifs) soit faire un labour très profond (avec le risque que les racines remontent une partie de la radioactivité et produisent quand même des aliments inconsommables). Autrement dit, dans un cas comme dans l’autre, tout ce qu’en temps ordinaire, on ne doit pas faire, si on considère seulement le point de vue agronomique. Les sols ainsi privés de leur surface, la couche qui contient l’humus, ne seraient temporairement plus fertiles et mettraient longtemps à être à nouveau cultivables. Mais tout cela ne vaut la peine que si on est certain que les émanations radioactives sont définitivement terminées, ce qui est loin d’être le cas.
Et l’avenir ?
Depuis Three Mile Island, en 1979, il y a eu en moyenne un accident nucléaire très grave tous les dix ans et huit mois. Si on continue à ce rythme-là, statistiquement, on peut envisager de connaitre le prochain en 2022. Où ? Le Japon n’a pratiquement plus de réacteur en fonctionnement, certains pays arrêtent progressivement leur programme nucléaire… En France, pays le plus nucléarisé du monde, on s’entête. En 2022, 21 réacteurs nucléaires français (sur les 58 actuels) auront plus de quarante ans. Le prochain accident, et il arrivera, soyons-en sûrs, a toutes les chances d’arriver en France.
Un accident nucléaire, c’est une catastrophe humaine. C’est inévitablement une population sacrifiée, parce qu’il est impossible d’évacuer tous les habitants d’une région. C’est une catastrophe écologique ; une région de terres agricoles perdues. C’est une catastrophe économique : l’IRSN estime à 430 milliards d’euros le coût1 d’une catastrophe nucléaire en France, ce qui est supérieur au budget du pays. Une catastrophe nucléaire, c’est la fin de la démocratie.
La seule vraie sécurité avec le nucléaire, c’est de ne pas en user. Donc d’arrêter. Maintenant.
Arrêter avant la catastrophe.
1) On aimerait d’ailleurs savoir d’où vient ce chiffre. Hormis le cynisme qui consiste à calculer le coût économique d’une catastrophe de ce type, l’IRSN reste étrangement muette sur les modalités du calcul.
NB : J’emprunte le schéma des retombées radioactives à ce site.
PS : Trois vidéos dans un seul billet, je le reconnais, ce n’est pas tellement raisonnable. Pourtant, elles valent la peine, toutes les trois, chacune dans son genre. A part ça, Pierre Fetet a mis un grand nombre de documents en ligne et le numéro d’avant-hier de Terre à terre sur France Culture vaut aussi la peine d’être écouté d’une oreille attentive.
Je n’ai pas encore regardé tes vidéos, mais j’ai écouté hier, l’émission de France Info : instructif et affolant.
Nous avons voulu jouer à l’apprenti sorcier, nous savons que la machine s’emballera et explosera, mais nous ne savons pas quand. Nous habitons sur pire qu’une poudrière.
Comme la France produisait de l’électricité pas chère et surtout en quantité qu’on ne peut pas moduler, il y a eu la publicité pour inciter les gens à s’équiper en tout électrique : c’est si facile, si pratique.
Mais quand on a une panne, (surtout si la panne dure plusieurs jours ou semaines, comme pendant la tempête de 99) on est perdu : on ne peut plus entrer dans sa cour, ni dans sa maison, (ou alors user de subterfuges quand cela a été prévu), ni ouvrir ses volets (le plus souvent un système manuel n’a pas été prévu), ni faire sa cuisine. On n’a plus de chauffage, car même les chaudières fonctionnent avec l’électricité.
Comme nous en consommons beaucoup, on nous dit que les centrales nucléaires sont indispensables. Les politiques ont tout fait pour qu’elles le soient.
Merci Philo, d’avoir fait le point assez complet sur ce problème. Les japonais sont très mal informés, ils sont tellement nombreux sur leurs îles, qu’il leur difficile de changer de région : pour aller où et y faire quoi?
Russie, Japon : régimes non démocratiques, populations désinformées : mais serons-nous mieux informés quand ce sera notre tour? Et où irons-nous?
Merci pour ce long commentaire, dans lequel il y a beaucoup de choses, comme toujours.
Et nous, quand cela nous arrivera ? Le Japon est théoriquement une démocratie, tout comme la France. Une démocratie mise à mal depuis la catastrophe. Il y a fort à parier que la nôtre serait mise à mal de la même manière dans des circonstances identiques. On se souvient des propos du Professeur Pellerin après Tchernobyl, qui assurait, en mentant éhontément, que le nuage n’arriverait pas jusqu’à la France. Je ne crois pas que les choses aient tellement changé depuis. Bruno Chareyron explique bien dans sa conférence que dans des circonstances identiques, en France, l’IRSN n’aurait probablement pas conseillé d’évacué. Donc en France, ce serait peut-être pire. Notre pays n’a pas plus que le Japon les moyens de faire face à une catastrophe nucléaire. Et il n’est pas moins peuplé. Il y a fort à parier qu’une catastrophe dans la région Rhône-Alpes, par exemple, donnerait lieu à une situation identique.
Je reviendrai lire plus longuement, il y a eu cette semaine un débat sur France 3, 2 ans après Fukushima, l’énergie à quel prix, il y a des arguments de certains professionnels pro nucléaires qui font peur… On a l’impression de la politique de l’autruche : surtout ne pas chercher d’autres solutions !!!
Surtout pas ! Il y a trop d’intérêts financiers en jeu et trop de liens entre nos “décideurs” et les technocrates du nucléaires.
Je reprends seulement une phrase qui vous fait dire “qu’il serait possible de décontaminer les sols si…”
Loin du compte pour différentes raisons dont celle que vous évoquez à propos des volumes, 0.3m d’épaisseur sur 10 000 m², voyons voir cela nous fait du… 3000m³/ha, sachant que les surfaces agricoles concernées représentent des milliers de km² soient des centaines de milliers d’ha, donc l’équivalent d’un petit Mt Fuji, ça ferait joli mais ce ne sera pas possible.
Enfouir les terres de surface n’est pas non plus la solution, d’abord parce que les nucléides vont migrer en profondeur par lessivage et polluer la totalité des nappes phréatiques, aussi parce que la radioactivité a cela de spécifique qu’elle est inégale sur les sols, sa répartition dépend de facteurs que personne ne maîtrise, le vent, les pluies, la nature des sols ( argile ou roche ou sédiments ), la pente, la végétation présente au moment de la pollution.
Les arbres et autres plantes “nucléophiles” sont parfaitement connues avec chacune sa spécialité, ceratines vont se charger en Cs, d’autres en Pu, en métaux lourds… il est donc certain qu’il ne sera jamais possible de cultiver de nouveau sur des terres contaminées, la question ne se pose pas, elles sont perdues à tout jamais pour la vie.
Les seuls arguments des pronuke sont des questions de dilution dont nous savons parfaitement qu’elles ne sont que poudre aux yeux, la contamination par les faibles doses aboutit encore plus sûrement à des maladies mortelles.
Les calculs des coûts d’un accident majeur proviennent de l’IRSN et de l’ASN, organismes bien officiels mais qui semblent avoir mal aux articulations, les rayonnements peut-être…
Mais les révélations que nous donne le JDD sont infiniment plus parlantes, parce que 470 Mds€ c’est cher, mais la vérité vraie est que le coût d’un accident majeur non loin d’une grande agglomération sous le vent d’une centrale concernerait plus de 90 millions de personnes et un territoire grand comme la France et l’Allemagne réunies.
Le coût en serait impensable : 5800 Mds€ !!!
Soit deux ans 1/2 de PIB ou la construction de près de 650 EPR… sans parler de démantèlement ou d’entretien, autant dire que le nucléaire est et restera une aberration technologique et économique et que les aspects de dangerosité auxquels ne sont pas sensibles nos psychopathes de dirigeants se verront changés en arguments économiques qui tuent et coupent court à tout débat !
Voilà l’intérêt de tels chiffres au delà de ce qu’ils ont d’obscène.
La possibilité d’une décontamination (sommaire) des terres par un raclage sur 30 cm d’épaisseur est évoquée par Bruno Chareyron. Mais je suis entièrement d’accord au sujet des difficultés techniques que cela pose et du caractère particulièrement aléatoire de l’entreprise. Quel que soit le sens dans lequel on prend le problème, on arrive effectivement à une impossibilité et on doit faire le constat que les terres sont perdues.
Les calculs de coûts qui seraient engendrés par un accident, pour être tout à fait sincère, me font froid dans le dos. Parce que ces sommes faramineuses veulent dire une seule chose : que nous n’avons pas les moyens de nous “offrir” une catastrophe nucléaire. Et donc, qu’au cas où ça arriverait, les populations européennes ne seraient pas mieux traitées que celles du Japon. Voire plus mal.