Le premier qui ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile.
Jean-Jacques Rousseau (1755)
La “Révolution du néolithique”, il y a dix à douze mille ans, a vu l’émergence d’une société d’agriculteurs-éleveurs, tandis que tombait lentement en désuétude la précédente organisation de chasseurs-cueilleurs. L’économie de production remplaçait progressivement l’économie de prédation.
Labourer
Dans le travail du sol, la première opération pratiquée a été le labour, dont la fonction la plus importante était de maîtriser le développement des mauvaises herbes : faire place nette avant de semer. Mais le labour a d’autres fonctions, qui sont d’ordre social et symbolique. Parce que l’intervention humaine est intrinsèquement fondatrice de l’agriculture, travailler la terre, c’est, dans l’intention, la soustraire à la seule volonté de la nature pour la soumettre à celle de l’homme. Ainsi, si l’on considère l’opposition traditionnelle entre nature et culture, labourer revient à “civiliser” le sol en “cultivant” la terre.
Ecrire
Le développement du labour a précédé de peu celui de l’écriture. Celle-ci a -très probablement- été inventée par les sumériens, en Mésopotamie, dans le “croissant fertile”, entre le Tigre et l’Euphrate, il y a cinq mille cinq cents ans. Au tout début, elle répondait à des besoins de mémoire, souvent en rapport avec l’agriculture : consigner des stocks de céréales, des inventaires de troupeaux, des prévisions de rendements… Les sumériens fabriquaient des tablettes d’argile dans lesquelles ils traçaient des signes avec un calame de roseau taillé.
Laisser une trace dans la terre
Les analogies entre le labour et l’écriture sont si nombreuses qu’il est difficile de ne pas voir de lien “civilisationnel” entre ces deux actes. Entre l’araire qui trace son sillon dans un champ et le calame qui trace un signe dans les tablettes d’argile des premiers scribes, il semble qu’il y ait une identité de geste et d’intention ; les lignes d’écriture suivent le modèle des sillons qui s’alignent l’un contre l’autre dans un champ. Leroi-Gourhan confirme cette idée en affirmant qu’on ne connait avec certitude aucun système graphique assimilable, même de loin à l’écriture linéaire chez d’autres peuples que les agriculteurs.
On peut donc dire que comme l’acte d’écrire sur un objet est un moyen de laisser sa marque et, ce faisant, de se l’approprier symboliquement, l’acte de labourer est, pour l’agriculteur, un signe, un moyen de s’approprier symboliquement le sol, d’y laisser son empreinte, de le désigner comme étant sien. Le labour est la trace, le signe, ce qui reste visible, du travail de l’homme sur le sol. Comme l’écriture dans la tablette d’argile qui, longtemps après la disparitions des scribes, est témoin de leur travail d’écriture.
NB : J’emprunte l’image de la tablette au blog L’aventure du livre.
Mes sources :
Jean Bottéro : Mésopotamie. L’écriture, la raison et les dieux (1987)
Louis-Jean Calvet : Histoire de l’écriture (1998)
André Leroi-Gourhan : Le geste et la parole, tome 1 : technique et langage (1964)
Jean-Jacques Rousseau : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)
Et c’est ainsi que commencèrent les guerres !!!!
Bonjour ,
Et que restera-t-il de nos écrits sur ordinateur ?
c’est toujours un plaisir de parcourir votre blog .
Merci. Je trouve que c’est une bonne question que vous posez là. A mon avis, ils sont les plus éphémères de tous…
Cela dit, vous avez remarqué ? Aujourd’hui, on recommence à écrire sur des tablettes. Elles ne sont pas en argile mais tablettes quand même.
ça me donne envie d’écrire sur tablettes d’argile ! Facile, je fais de la poterie, mais plus difficile dès qu’il s’agit de trouver un texte durable, utile, beau si possible… Spontanément c’est une recette de cuisine qui me viendrait.