J’aime bien les femmes*…

agricultrice_bretagneJe les aime bien, les petites mères courage qui se lèvent à cinq heures pour aller traire et soigner les vaches avant de revenir s’occuper de leurs jeunes enfants. Mines fatiguées, souvent, au-dessus du bol de café et des tartines au retour de l’école, mais qui ne songeraient pas à se plaindre : “Tu comprends, tout faire avant de lever les gamins, c’est plus pratique.”

 Je les aime bien, les héroïnes silencieuses, qui font leur boulot l’air de rien, sans en faire un opéra, sans se demander si c’est plus ou moins masculin de conduire un tracteur que de faire la cuisine. Et qui ce faisant, portent sur leurs épaules le poids de leur exploitation, la santé des animaux, les cultures, les machines… sans se poser tellement de questions.

Je les aime bien, les anciennes qui toute leur vie ont œuvré, dans l’ombre de leur mari, femmes d’agriculteur, sans aucun statut, souvent, ou simple “conjoint collaborateur”, parfois, mais au boulot quand même, à la traite, aux soins des veaux, parties “ramasser les vaches” le soir en attendant que Monsieur rentre des champs, du bois, des clôtures… Je les aime bien, elles qui ont fait depuis toujours tourner la maison, s’occupant du potager, du budget, des enfants, des courses. Avec leur petit poulailler, les œufs vendus aux voisins, les petits sous ainsi gagnés qui remplissent leur “cagnotte”, minuscule trésor d’économie rurale séculaire dont le contenu servira à acheter une paire de chaussures, une robe ou le cartable du petit dernier.

Je les aime bien, ces sacrées nanas qui ouvrent leur gu**le dans les réunions, les assemblées générales de la coopérative ou du syndicat. Minoritaire dans une assemblée d’hommes, mais pas décidée à rester dans l’ombre, bien sûr, qu’elle se présente aux élections, évidemment, qu’elle est prête à être administratrice du contrôle laitier !

Je les aime bien, les amicales qui copinent avec la technicienne sur le mode de la solidarité féminine et du partage d’expérience (“Quand tu as tes règles, tu fais encore plus attention au taureau que d’habitude, ok ?”). Complices, elles tombent le masque juste un instant, entre nous, parce que là, quand même, “je suis crevée et puis avec cet hiver qui n’en finit pas, on a eu tellement de mammites, j’en peux plus”.

Je les aime bien, celles qui font faire le tour de leur troupeau en faisant un commentaire sur chaque vache, qui font visiter la maternité de la porcherie, “leur” maternité, qui ramassent chaque jour quatre mille œufs plus vite que leur ombre au bout du tapis roulant du poulailler. Dans tous les cas, fières de leurs résultats.

Je les aime bien, celles qui ont décidé qu’être mariée à un agriculteur ne faisait pas forcément d’elles une agricultrice (“c’est son boulot, il se débrouille, de toute façon, j’aime pas les vaches”) mais qui le soutiennent, l’aident et dans le même temps, mettent des garde fous pour qu’il ne s’épuise pas en passant ses jours et ses nuits au travail.

Je les aime bien, les femmes, en agriculture. Qu’elles aient décidé de s’installer ou qu’elles soient à côté, leur rôle n’est jamais négligeable. Et si j’ai des questions à poser à Monsieur sur son travail, sur ses difficultés, sur ce qui marche et ce qui ne marche pas, son organisation, et qu’elle est là, à vaquer à ses occupations, l’air de rien mais à portée de voix, je ne la lâche pas des yeux. Je sais que son attitude va m’en dire, le plus souvent, autant que ses mots à lui. Et quand elle parle, c’est avec poids, parce qu’elle est la parole du foyer, surtout si son homme est du genre taiseux ou pudique.

J’aime bien les femmes que je rencontre dans mon métier, les forts tempéraments, les attachantes, les emmerdeuses, les passionnées, les acharnées ; c’est un des bonheurs de mon travail que de rencontrer toutes ces personnalités féminines qui, chacune à sa manière, mériterait un portrait.

NB : Aujourd’hui, un agriculteur sur trois est une femme. Cela ne signifie pas forcément qu’il y ait plus de femmes qu’autrefois qui travaillent en agriculture mais qu’aujourd’hui elles ont un statut et sont sorties de l’ombre. Néanmoins, les choses avancent lentement. Il aura fallu attendre 2010 pour que le GAEC entre conjoints soit autorisé, au nom de la parité, c’est-à-dire pour que le travail de madame soit reconnu comme équivalent à celui de son époux dans l’exploitation.

* Toute allusion à l’actualité législative récente n’est en aucun cas fortuite. Je suis exaspérée par les propos grotesques sur l’homosexualité qui se répandent dans les médias depuis quelques temps, par l’intolérance et la violence qui se propagent jusque dans l’hémicycle du palais Bourbon. Notre pays me fait peur. Même si le mariage (le mariage en général) n’est pas ma tasse de thé à titre personnel, je ne vois pas en quoi le mariage des autres, qu’il soit homo ou hétéro, me lèserait.

Ce titre est une manière de dire ma solidarité avec ceux qui ont à subir ces propos et, parfois même, ces actes insupportables. Vivement que cette loi soit promulguée.

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14 comments for “J’aime bien les femmes*…

  1. 21 avril 2013 at 13 h 30 min

    Magnifique hommage !

  2. Twiggy
    21 avril 2013 at 16 h 58 min

    Le patriarcat a encore de beaux restes et ton article fait du bien, merci.

  3. isa
    21 avril 2013 at 21 h 34 min

    Et moi… j’aime bien ton article… très bien écrit !

  4. Nad
    22 avril 2013 at 11 h 40 min

    Il est très beau, ton texte.

    J’y reconnais beaucoup de copines, des jeunes, des vieilles, des disparues…

    Merci Philomène.

  5. 29 avril 2013 at 14 h 02 min

    Merci <3
    Pour mon troll, je suis un peu blasée parce que j'avais rédigé une super réponse, et du coup je peux pas lui envoyer !

    Sinon, je pense plein à toi, même si j'écris pas…

    • Philomenne
      29 avril 2013 at 20 h 00 min

      Je pense plein à toi aussi et je n’écris pas beaucoup non plus…

      Le troll, tu peux toujours lui faire une réponse sous forme de billet. Ou alors, tu laisses choir et tu passes à la suite.

      Merci à toutes les nanas qui sont venues commenter ce billet, ça fait chaud au cœur (et les garçons, restez, je vous aime aussi, hein !)

  6. 29 avril 2013 at 22 h 42 min

    Moi aussi je les aime bien , ces femmes trop souvent dans l’ombre

    Pour l’anecdote , il n’y a pas que du taureau dont il faut se méfier plus que d’habitude quand on a ses règles ! les vaches aussi y sont sensibles !! crois moi , j’en ai fait souvent les frais …

    Et c’est toujours un réel plaisir de te lire

    • Philomenne
      29 avril 2013 at 23 h 00 min

      Pour cette histoire de taureau, cela m’a été dit par une éleveuse qui avait eu un accident grave avec un taureau, un de ces jours fatidiques… Mais j’ai aussi constaté qu’il fallait de toute façon faire attention tout le temps, surtout avec les allaitantes, qui sont plus vives, je ne t’apprends rien. Un animal qui fait huit à dix fois ton poids peut de toute façon être dangereux, quoi qu’il en soit, même s’il n’a pas de mauvaises intentions. Mieux vaut rester vigilant(e).

  7. Mélanie
    30 avril 2013 at 0 h 29 min

    Bonsoir

    Pensez-vous que la FNESA soit une référence ?

    J’en doute !

    • Philomenne
      1 mai 2013 at 12 h 00 min

      Pourquoi ne le serait-elle pas en l’occurrence ? Vous pourriez développer ? Vous avez des arguments ?

  8. Romieu
    3 mai 2013 at 20 h 07 min

    Ben voilà, on part chasser la morille, allez, une petite semaine, et on se retrouve avec deux nouveaux tous beaux articles. J’aime beaucoup celui-ci, c’est un regard sur les femmes qui me plaît, et ces femmes-là me plaisent aussi. Cieux, où ai-je fourré ma pince à épiler ? Il y a un poil, là !!! Et le vernis tout écaillé sur mon petit doigt de pied gauche, là… Si, si, regarde bien.

    • Philomenne
      3 mai 2013 at 22 h 00 min

      Voilà ce que c’est que de jouer à “Morilles dans la brume” : on finit par ressembler à une vraie Femme des bois. Hehe.

      (Aux autres lecteurs : oui, les private joke, c’est moche, mais c’est la petite faiblesse qui nous perdra, Romieu et moi.)

  9. dorigord
    4 mai 2013 at 17 h 47 min

    Tu as bien tout dit sur la condition des femmes dans l’agriculture.
    Elles ont donné leur part, souvent sans contre-partie autre que de savoir le travail bien fait.
    Quand une femme se mariait, elle épousait aussi le métier du mari s’il n’était pas salarié (artisans-commerçants-agriculteurs) même si elle avait un métier auparavant.
    Elle entrait aussi comme belle-fille et devait obéir au mari et aux beaux-parents.
    Il y a souvent le problème de l’homme qui venait « gendre » dans la ferme. Souvent, il n’avait pas la part belle non plus : travailler toujours et « s’écraser ».
    Maintenant, les femmes ne sont plus obligées de travailler à la ferme, elles gardent souvent leur travail. Moi-même, j’ai toujours travaillé à l’extérieur, me « contentant » d’assumer les démarches, les papiers, la compta , la maison, l’enfant comme toutes les femmes.
    Dans mes amis, il y a un couple dont la femme avait une exploitation avec sa mère et sa sœur.

    Sa mère a pris la retraite et s’occupe des petits, sa sœur est partie. Elle se retrouve seule avec des vaches allaitantes.
    Son mari a lui aussi une exploitation de vaches allaitantes à 30 km.
    Le travail ne manque pas !!!!

    Une voisine (91 ans) fille d’agri, est allée à l’école jusqu’au brevet, ce qui était beaucoup pour l’époque. Elle s’est mariée avec un agriculteur, a bien aidé à développer la ferme. En 1960, elle a institué la vente à la ferme de leurs produits : très innovant.
    Malgré les 5 enfants et le travail à la ferme, elle s’est toujours investie dans des associations pour la défendre les femmes dans le monde agricole : beau parcours aussi.

    Chapeau Mesdames !!

    C’est bien de les mettre à l’honneur quelques fois. Merci Philo !

  10. 18 décembre 2016 at 9 h 55 min

    Bonjour,

    Bravo pour votre hommage aux agricultrices. Effectivement, les femmes ne sont sans doute pas plus ou moins présentes qu’avant dans l’agriculture, mais leur présence est enfin reconnue et officialisée. Les études montrent encore une répartition très genrée des rôles au sein d’une ferme: plus souvent la vente et l’accueil pour les femmes, plus souvent le technique pour les hommes. Il y a donc encore un travail sur l’évolution des mentalités à opérer. Je vous conseille en ce sens la lecture des travaux de Clémentine Come, du Centre de Recherche sur l’Action Politique en Europe.

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